Q.- : Le tableau a classiquement un rapport avec la fenêtre, est-ce que ta peinture, qui utilise le terme de passe-fenêtre, lequel se complexifie en passe-muraille, passe-porte, suivant tout un vocabulaire ancré dans l’architecture, a un rapport direct avec la forme architecturale ? Est-ce que cela a commencé avec les arcs et tes’ peintures-cheminées ?
R.- : La préoccupation centrale qui m’a emmené aux passeplans était déjà en germe dans les peintures-cheminées, lesquelles se présentaient sous la forme d’une grande plage centrale flanquée de part et d’autre de règles asymétriques de couleur, ce qui induisait un mouvement latéral.
Par la suite, j’ai carrément coupé de part et d’autre un des deux renvois des couleurs et unifié l’ensemble en une seule et même teinte. Ce qui faisait automatiquement entrer l’architecture du lieu environnant dans le tableau. C’est ça l’idée du passe-plan : je décentre ce qui traditionnellement est centré, comme la fenêtre l’est dans la vision picturale. Ainsi je provoque la conservation d’un centre dans la plage du tableau, mais j’invite également l’extérieur à entrer de concert avec cette plage. C’est une double focalisation. Et le passe-plan m’intéresse car il est en même temps dedans et dehors. Ce sont ces deux notions qui vont peu à peu se développer et arriver à mettre en place ce passage du regard qui m’importe dans tout ce que je fais. Le lien avec l’architecture passe déjà par un rapport avec ce qui entoure l’oeuvre, le mur puisqu’il n’y a plus seulement que la force centripète à l’intérieur de la toile qui est en jeu. Il y a aussi ce qui en sort vers l’extérieur et qui va vers l’espace autour. Je ne cherche pas à diffuser la toile dans son entourage. Je veux garder le tableau, mais en faisant entrer en lui du mur. C’est mettre le tableau en dualité avec autre chose: je ne veux pas qu’il soit uniquement le centre de lui-même, Voilà ce qui m’intéresse.
Q.- ; De par sa vocation, l’architecture s’intéresse à tout l’environnement puisqu’elle est destinée à être habitée. Est-ce que ta peinture cherche elle aussi à déborder son propre cadre el dans ce cas, est-ce pour se stabiliser ou pour se remettre en cause ?
R.- : J’ai invité l’espace à entrer dans le tableau et je joue avec ce double centre, cette espèce de présence à l’intérieur et à l’extérieur d’elle même. Quand je mets en place une série de passe-plans, ce que je développe d’abord, c’est une vision latérale, de balayage. Cela demande une prise en compte de l’espace donné, le plus souvent celui de la galerie. Ainsi à la galerie Pixi, j’ai été amené à modifier l’espace en rajoutant des plans pour créer une continuité et favoriser une impression de plus grande globalité. Mais tout comme dans mon travail la géométrie reste un moyen, l’architecture sert mon propos sans en être le but. Et les oeuvres sont pensées le plus souvent par rapport à l’endroit où elles vont fonctionner. Chaque lieu provoque ou permet une certaine vision globale. Elle peut être parfois complètement dynamisante par rapport au propos de mettre les oeuvres en relation les unes par rapport aux autres et obtenir ce balayage latéral du regard.
Q.- : La lecture des œuvres incorpore l’espace du mur qui se trouve entre les œuvres mêmes.
Qu’est-ce sensé leur apporter ?
R.- : Dans tout mon travail il y a la notion capitale de passage. Et donc quand je parle de dualité intérieur- extérieur, et de double focalisation des œuvres (les passeplans par exemple), c’est à cette idée de passage que je me réfère. Et quand je mets plusieurs passeplans et autres pièces qui viennent s’y confronter en faisant vivre ainsi les espaces entre- mais aussi au devant et à l’arrière des pièces-, alors la notion de passage en est fortement dynamisée. Ce qui m’intéresse quand on regarde une œuvre c’est qu’elle soit perçu autant à l’intérieur qu’à l’extérieur d’elle-même. D’où les séries et les confrontations d’œuvres diverses qui permettent d’animer le passage.
Tout mon travail vient de la fenêtre et s’étire latéralement en séries et suites. Plus récemment il s’est développé en avant du mur, donnant naissance à des reliefs qui sont bientôt devenus des structures libres.
Donc l’architecture, je pourrais en parler de deux manières. D’un côté, les œuvres m’emmènent à considérer l’espace architectural dans lequel elles se placent et avec lequel elles se combinent. D’un autre les œuvres génèrent elles mêmes un espace, un volume qui sous-tend des notions d’architecture (devant, dedans et en perpétuel mouvement par rapport au spectateur…).
Pour le premier cas j’en ai pris conscience lors de commandes qui m’ont emmené à sortir de mon atelier et à réfléchir pour des lieux spécifiques. Il y a eu ainsi un projet pour une façade (l’église St Marcel) et son sas d’entrée dans la poursuite de la façade. Cela a nécessité un regard prenant en compte d’autres dimensions que celles avec lesquelles j’avais travaillé jusqu’alors et ce n’était pas pour me déplaire. J’ai imaginé, plaqué sur la façade et épousant son contour, un triangle de verre opaque avec tout un jeu de bandes de couleurs verticales qui créait un mouvement ascendant / descendant.
Q.- : Il y a effectivement la question de la dimension qui est tout à fait importante en architecture puisqu’elle est sensée prendre en compte le corps de celui qui regarde. En ce qui te concerne comment prends-tu en compte la dimension du corps ?
R.- : Effectivement, c’est une réflexion qui entre assez souvent dans mon approche. Par exemple, cette « suite combinatoire » a une hauteur de 2m20. Cette hauteur de 2m20 est très particulière : elle est à la limite de cette frontalité facile du corps et d’une sorte de point de perdition, car à cette hauteur, on part un peu vers autre chose. Ce « passeporte en croix », structure évidée, autour de ses 2m porte la même conscience du corps.
Q.- : Et dans ce cas-là, on ne pourrait pas parler de problématique de sculpture ?
R.- : Je me sens éloigné de la problématique de sculpture. D’ailleurs je les appelle structures. Pour moi, tout est issu du plan frontal du tableau traditionnel et de la réflexion particulière que je fais sur ce lieu même où se produit la peinture : le tableau. Et si j’arrive au volume c’est par voie de conséquence à l’intérieur de cette réflexion, en provoquant par exemple la rencontre de deux plans verticaux et en en reliant les sommets l’un à l’autre. Ces derniers deviennent ainsi des passe-volumes mais à l’origine ce ne sont par exemple que deux plans différemment biaisés, si bien que leur diagonales sont différentes. Quand on relie leurs sommets par des lignes droites on obtient des volumes qui, bien que construits sur la verticale apparaissent chaotiques et déséquilibrés. Ils ne sont pourtant issus que d’une simple confrontation de plans verticaux.
Q.- Le passage au volume peut se faire par le plein effectivement, un plein assez énigmatique puisqu’il est blanc, ou par un volume creux qui joue avec le vide et l’environnement. Pour les volumes pleins et blancs qui sont disposés les uns à côté des autres, il y a, non seulement un rapport surdimensionné mais le plus souvent un rapport au modèle réduit, à la maquette.
R.- oui, mais j’ai aussi imaginé des passe-volumes dans lesquels on pourrait pénétrer ; des passe-volumes de 2m20 à l’intérieur desquels on serait totalement confronté au plan. Je ne m’intéresse qu’à la verticalité, donc aux côtés latéraux qui sont pour moi les côtés dynamiques. A partir d’une de mes suites combinatoires j’ai imaginé une structure s’enroulant sur elle-même, en colimaçon, dans laquelle on pourrait circuler. Cette suite développe une succession d’évidements qui permettent de voir de l’autre côté. Très éclairée au centre la lumière passant au travers de ces fentes répercutait leurs dessins dans la structure en créant une impression chaotique que j’appelais « labyrinthique ».
Q.- : Y a t-il un jeu conscient avec la lumière dans les autres œuvres ?
R.- : Oui, par exemple, j’aime que pour des œuvres très similaires, certaines soient à peine éclairées alors que d’autres le seront beaucoup plus. Cela crée une autre situation et donc une autre œuvre. Je joue aussi avec la couleur. Par exemple je peins l’arrière de mes tableaux de manière à créer une présence de couleur à la limite de la bordure et comme les passe-plans sont toujours détachés du mur, il y a un léger reflet, une sorte d’ombre colorée qui se perçoit à la bordure. La couleur rejaillit ainsi vers l’espace du mur et c’est une manière de l’intégrer dans l’œuvre. Je m’approprie l’espace qui est entre mes pièces et je le fais vivre. Je le dynamise.
Q.- : Et quand est-il des revêtements ?
R.- : Je me sers de la couleur pour gérer ces idées de passage. Grâce à l’acrylique sur bois, la plupart de mes passe-plans sont soit recouverts de toile et peints comme un tableau, soit recouverts d’une espèce de peau de latex collé. Le latex me donne une couleur mate, non réfléchissante, suffisamment sensuelle pour provoquer d’emblée une attirance. C’est une présence non explosive, un peu secrète, un peu cachée et ce que je fais avec la peinture est un peu analogue. Cette présence discrète me permet d’obtenir ce que je recherche, car si j’attire trop le regard à l’intérieur de l’œuvre, je perds automatiquement la double présence intérieur / extérieur. La verticale, à l’inverse de l’horizontale, rend compte de cet espèce de non temps : le passage n’est pas un déroulement mais une suite de temps uniques. C’est le spectateur qui introduit après, le rapport au temps.
(Version du texte remanié)
LIGEIA –« ART ET ARCHITECTURE »- N°33-34-35-36- 2001