Bernard Cousinier peint dans les coins. L’artiste, né en 1942, a travaillé au corps les quatre angles de la galerie Pixi. En suivant un principe simple : en abaisser le plafond, en rehausser le plancher, à l’aide de planches triangulaires. L’ensemble reçoit ensuite la peinture, appliquée en bandes géométriques. Le visiteur ressent le même type de trouble que devant les scènes de théâtre dont l’arrière du plancher est relevé. Amoureux des tableaux plans, Cousinier chamboule ainsi la perspective, sans la bouleverser totalement. Il s’en explique dans le texte de présentation : « Alors qu’avec la perspective on crée sur un plan l’illusion de la troisième dimension, je ne cherche pas à provoquer l’illusion inverse, celle de nous faire croire que nous serions en présence d’un plan, et non dans ni devant l’espace tridimensionnel. »
Ce que ferait un Georges Rousse, par exemple, avec ses photographies fascinantes où il s’ingénie à donner l’aspect d’une forme unique à un ensemble architectural complexe. Ou un Christophe Cuzin qui, dans une récente et spectaculaire exposition au Musée Picasso d’Antibes, avait, entre autres, souligné les variations des plans et des matières des murs avec de grands aplats de couleurs qui magnifiaient l’architecture.
Cousinier est plus proche d’un Felice Varini, même si, à la différence de celui-ci, son travail à la galerie Pixi peut être regardé sous tous les angles, et pas seulement d’un point de vue unique qui donne son sens aux lignes.
Il cherche « un compromis entre le plan et la troisième dimension. A la fois situé dans les deux, et à mi-chemin. Subissant et profitant de l’un comme de l’autre ». D’où peut-être cette étrange sensation de vertige, ce début de mouvement, de palpitation, renforcé par les contrastes de couleur, l’alternance de tons chauds et de tons froids, les premiers ayant tendance à paraître à l’oeil plus proches que les seconds.
En 2002, Cousinier était intervenu sur l’architecture de la galerie, modulant l’espace pour, dit-il, « favoriser une perception enveloppante de vision globale ». A ce moment-là, déjà, il cherchait à provoquer chez le visiteur une sensation de déséquilibre. En 2000, toujours chez sa tenace galeriste, Marie-Victoire Poliakoff, il montrait d’étranges structures, des châssis sans toile, même pas droits, qui débordaient d’un côté, se creusaient de l’autre. Cousinier les appelait ses « Passefenêtres ». La couleur était posée sur l’épaisseur du bois, face au spectateur. Un premier pas vers une autonomie du tableau, qui se détachait du mur, devenait sculpture, ou plutôt, peinture dans l’espace.
On verra deux ou trois petits exemples proches en vitrine, flanqués de deux maquettes d’angles. Possibles projets pour des réalisations définitives. Mais quel collectionneur contemporain oserait vivre avec une oeuvre qui trouble ainsi ses sens ?
« Bernard Cousinier. Plans d’angles ».
Galerie Pixi, 95, rue de Seine, Paris-6e. Métro Odéon.
Tél. : 01-43-25-10-12. Du mardi au samedi, de 14 h 30 à 19 heures. Jusqu’au 27 mai.
Harry Bellet