Bernard Cousinier

Laurence Debecque-Michel, 2017

LIGEA DOSSIERS SUR L’ART – XXXºANNÉE – Nº 157-160 –  JUILLET-DÉCEMBRE 2017

Ce qui frappe d’emblée dans le travail de Bernard Cousinier est la tension géométrique qui s’y exerce. Jusqu’à ce que l’on réalise qu’il s’agit en fait de géométrie dévoyée. Parti du cadre rectangulaire qui, à l’origine, est la forme traditionnelle du tableau dans lequel le peintre est censé agencer ses couleurs, Cousinier a, un jour, décidé de ne plus jouer le jeu de la couleur « clôturée » par le rectangle, mais de « les situer l’un et l’autre dans un autre rapport ». Matisse avait, en son temps, libéré la couleur du cerne de la figure. Cousinier a voulu, pour sa part, la libérer du plan rectangulaire du tableau. Celui-ci n’est pas pour autant devenu le shaped canvas de Frank Stella. Mais il a commencé à perdre un angle, parfois deux comme si l’artiste soustrayait de la surface, et ces soustractions ont engendré des décrochés comme s’il enclenchait un élan et faisait faire à son cadre un pas de côté. Impression de mouvement d’autant plus flagrante quand certains de ces angles ont commencé à ne plus être droits et à impulser leur propre rythme dans une sorte de coulissage que Cousinier a naturellement baptisé du terme de passe-plan. Parallèlement, son plan s’est parfois évidé pour ne laisser que le cadre creux qui s’est
mis, lui-même, à proliférer de décroché en décroché pour devenir volume ironique, énigmatique mais non anarchique et qu’il a alors baptisé passe-volume. Ayant ainsi élaboré les règles d’une stratégie aux possibilités quasi infinies, Cousinier propose maintenant des objets dont le statut oscille entre tableau, sculpture, architecture et qui se présentent en plans simples ou superposés, en volumes pleins ou évidés. Pour autant, il n’a perdu en route ni la variété des matériaux ni le rapport à la couleur : les interactions chromatiques qu’il a réalisées in situ aux Tanneries d’Amilly en 2009 prouvent son amour de la couleur et le pouvoir sensuel qu’il lui attribue en contrepoint de son rapport distancié à la géométrie. Les tours de passe-passe de Bernard Cousinier sauront encore longtemps nous surprendre.

LIGEA DOSSIERS SUR L’ART – XXXºANNÉE – Nº 157-160 –  JUILLET-DÉCEMBRE 2017