Bernard Cousinier est peintre. C’est de cette façon qu’il s’est vu, du moins au début.
Mais où poser la couleur ? Pour quel dess(e)in ? et à quoi doit-elle prétendre une fois posée sur le plan de la toile ? Bien sûr à être une peinture mais pour quel projet de figuration?.
Au début, le dessin venait avec la couleur, ensemble, si bien que cette question ne se posait pas encore. Le tracé du dessin pouvait s’amender à chaque passage du pinceau et la forme couleur se dilater et / ou se contracter au grès de l’acte de peindre et de ce qui motivait le mouvement des tracés.
Couleur et dessin n’arrivaient pas à discipliner la partition de leurs présences multiples sur la toile. Ils donnaient lieu à de belles étendues de matières et de couleurs “all over“, empâtées et en glacis. Le travail de peinture renvoyait aux belles manières et matières empruntées à “l’ami américain“ des années soixante.
C’était des visions d’intériorités et de sentiments qui dominaient la conception picturale dans l’oeuvre de Bernard Cousinier : du moins au début.
Plus tard, Bernard Cousinier opère une volte face, une façon de se voir, peintre, autrement, sans état d’âme.
La question de savoir où le dessin et la couleur se posent et s ‘agencent a trouvé sa réponse. Les deux seront préalablement identifiés, séparés et distribués afin de construire une picturalité spatialisée. Comme si la peinture
– son dessin et sa couleur – pouvait espérer échapper à la clôture du tableau asservi à la condensation de son plan d’expression.
Bernard Cousinier opère comme un changement de pieds. Il se recompose une conduite d’action. Il formule un autre agencement des mots propres au vocabulaire du peintre. Il compose les mots à la manière allemande : “passefenêtre“, “passeplan“. Ainsi il soumet à la question l’autorité esthétique du tableau à la fois comme fenêtre ouverte (Alberti XV°s) et comme plan support spécifique du pictural (Greenberg XX°s.). Ainsi fut dit au début des années 90 et fait en suivant.
Passefenêtre“, “Passeplan“ s’entendent comme “percepts“ au sens de Deleuze. Ils se présentent également, tels des objets, dans l’élaboration de l’espace pictural : l’un est un cadre dépouillé de sa toile, l’autre, un cadre enveloppé par sa toile si bien que les deux se présentent comme déterminés par l’épaisseur du cadre. L’un dessinant l’épaisseur en creux l’autre l’épaisseur en plein.
Depuis 20ans, sur cette sorte de recomposition sémantique et doté de ce nouvel appareillage du dispositif de la peinture, Cousinier entreprend, un jeu d’actions comme pour forcer un passage et porter l’exigence de faire sauter l’acte de peindre à des perceptions qui permettront d’associer simultanément la place de la couleur dans
une relation active avec le dessin de l’espace.
Alors, donner un rythme et capter le regard peut-être aussi le corps. Soit concevoir la peinture comme une architecture distributive de la couleur qui puisse se voir comme un dessin construisant une forme de perception propre à la mobilité du regard et où le corps serait convié comme à “chat perché“ de place en place.
C’est une peinture du déplacement, du parcours, de l’arrêt et du mouvement, une peinture qui se prête à la découverte de multiples lignes d’horizon dépourvues de points de fuites mais qui organisent la fuite multiple des regards et des corps dans les passages qui s’ouvrent ou se ferment.
C’est d’une certaine manière mettre en oeuvre une architecture de la peinture et, donc, un autre contenu perceptif à la couleur et au dessin.
Le dessin du cadre vient contenir la présence d’un vide (Passefenêtre) ou manifester la tension épaisse du plan (Passeplan) et leur donner une découpe pour en faire une configuration d’évidement ou de masse. Un espace pictural dessiné par l’épaisseur d’une limite sur laquelle vient se déposer la possibilité de la couleur : donner un rythme et capter le regard peut-être aussi le corps.
La couleur dessine la perception des plans qui ne cessent de s’échapper dans une cadence d’apparition et de disparition : larges et frontaux, étroits et latéraux, puis dépassés et disparus. Sinon il n’y aurait qu’une lumière célibataire divisée sur l’arête du cadre en clair et obscur.
Bernard Cousinier est un peintre qui fait signe d’un passage. Il passe d’un état de la peinture apprise comme fenêtre et plan à un état de la peinture dont la prise picturale circonscrit la figure du vide ou couvre “all over“ la figure du plein. Le corps change de regard et les regards sollicités changent la posture perceptive du corps…
Corps et regards ne s’ajustent plus dans l’immobilité contemplative de la forme peinte mais se disloquent comme ils le feraient à cloche pieds.
Gérard Tiné le 10/03/14
LE STUDIO LE MIRAIL, TOULOUSE – 2014